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Visuel: [Pourquoi est-il nécessaire de changer son regard sur les textes des élèves?] Visuel: [Suzanne-G. Chartrand, Ph. D., Didactique.] Suzanne-G. Chartrand: Alors, bonjour ! Dans un article intitulé "Changer son regard sur les copies d'élèves", je relatais un certain nombre d'expériences que j'ai vécues avec des enseignantes ou des enseignants du primaire ou du secondaire voire avec des orthopédagogues. Je suis toujours étonnée de voir à quel point le regard sur les copies des élèves est un regard extrêmement négatif d'emblée. C’est-à-dire que la première chose qui nous saute aux yeux, bien sûr, à nous, profs de français, c'est le nombre important souvent d'erreurs d'orthographe. Et cette focalisation que nous mettons sur les erreurs orthographiques dans les copies des francophones en général, des élèves en particulier, tout le monde en fait des erreurs. Vous, comme moi, régulièrement on en voit, les courriels sont truffés d'erreurs même quand ce sont les courriels envoyés par des universitaires. Donc, c'est quelque chose de très courant et qui s'explique tout à fait. Et donc, lorsqu'on regarde les copies des élèves, c'est le focus étant mis là-dessus, on ne voit pas autre chose. Visuel: [La qualité du message.] Suzanne-G. Chartrand: L'autre chose, c'est la qualité du message. Est-ce que oui ou non on a compris ce qui était dit ? Est-ce que oui ou non le texte qui a été écrit répond à une consigne, à une tache d'écriture d'un texte ou d'un genre particulier ou d'un texte essentiellement scolaire où on répond à une question par exemple de compréhension de texte, où on décrit un personnage qu'on voudrait bien intégrer éventuellement dans un récit etcetera ? Visuel: [Avoir un regard plus holistique.] Suzanne-G. Chartrand: Donc, changer son regard sur la copie les copies des élèves, ça veut dire d'abord avoir un regard plus holistique, voire essayer d'avoir un diagnostic sur là où est rendu l'élève dans sa capacité à maîtriser la langue écrite pour produire un message. Donc, est-ce que le texte se comprend ? Est-ce que le texte répond à la consigne ? Est-ce que le test est divisé en paragraphe ? Est-ce que ces paragraphes sont des unités de sens tout en étant des unités graphiques qui nous permettent mieux de comprendre le texte ? Est-ce que le texte se suit ou il fait du sur place ? Est-ce que le texte est cohérent ? Est-ce que les marques de cohérence du texte sont là ? Autant de questions qu'on doit se poser, autant de regard qu'on doit avoir sur le texte d'un élève avant d'en arriver à la syntaxe, à la ponctuation et à l'orthographe. Alors, l'orthographe devrait être le dernier élément qu'on va scruter. Ce qui nous permettrait de dire, et bien cet élève-là, en troisième primaire ou en septième par exemple, cet élève-là a déjà maîtrisé un peu la structure d'un texte de tel ou tel genre ou répondant à telle ou telle consigne. Il maîtrise assez bien la segmentation de ses phrases avec une majuscule et un point, ce à quoi on devrait arriver en gros en troisième, quatrième primaire. Par contre, on pourrait voir aussi des élèves de troisième, quatrième primaire où les phrases ne sont toujours pas segmentées par un point. Ça, c'est un problème majeur et il faudra intervenir sur ce problème. Ce n'est pas un problème d'orthographe, c'est un problème de segmentation de phrase, de syntaxe, de ponctuation et c'est essentiel pour la compréhension du message. Donc on devra faire des interventions à ce niveau-là. Visuel: [Moins focaliser sur les erreurs d'orthographe. Travailler la structure du texte.] Suzanne-G. Chartrand: Tout ça revient à dire qu'il faut essayer de moins focaliser sur les erreurs d'orthographe, montrer d'autres dimensions du texte et rendre conscient les élèves que le texte est autre chose que juste l'orthographe pour les amener justement à travailler la structure du texte, la clarté du message, la segmentation des phrases, la syntaxe, ce qui est plus difficile, ce qui demandera vraiment un travail de réflexion grammaticale pour voir comment une phrase. Visuel: [Qualité et précision du vocabulaire.] Suzanne-G. Chartrand: Comment je peux m'assurer qu'une phrase et bel est bien construite. Et puis, enfin, bien sûr, la qualité, la précision selon le cas du vocabulaire, le vocabulaire familier qui des fois, a sa place, des fois ne l'a pas dans un texte. Visuel: [Message.] Suzanne-G. Chartrand: Donc pour changer son regard sur les copies des élèves, il faut effectivement voir un texte pas juste comme un travail scolaire, mais voir un texte comme un message, comme quelque chose qui nous est destiné pour nous apprendre quelque chose, nous dire quelque chose, nous raconter quelque chose. Visuel: [Quels messages clés devons-nous retenir au sujet de la révision-correction des textes? Quel est le rôle de l'enseignant et celui de l'élève?] Suzanne-G. Chartrand: Alors, comment faire ? Visuel: [http://www.enseignementdufrancais.fse.ulaval.ca.] Suzanne-G. Chartrand: Vous pourrez aller voir sur le portail pour l'enseignement du français, on clique dans n'importe quel moteur de recherche, on clique "portail enseignement du français", on tombe sur un portail que j'anime et qui est hébergé à l'Université Laval, au Québec. Visuel: [Apparition de la page internet du site du portail pour l'enseignement du français.] Suzanne-G. Chartrand: Sur ce portail, pour faire des recherches, il y a environ un millier de ressources. Et donc pour faire des recherches, on a sous une fenêtre blanche l'ordre alphabétique. Alors, vous pouvez cliquer à R pour révision, révision correction, et vous tomberez sur un certain nombre de petits articles très simples écrits pour des revues d'enseignant et aussi des grilles de révision correction de texte. Visuel: [Révision et correction.] Suzanne-G. Chartrand: Je parle de révision correction, parce que c'est un processus qui est binaire, mais qui est tout à fait imbriqué. L'élève doit d'abord revoir son texte, le revoir en partant de la consigne. Qu'est-ce qu'on lui a demandé de faire ? Visuel: [Genre. Thème.] Suzanne-G. Chartrand: Non seulement juste le nombre de mots, mais vraiment quel genre était attendu ? Quel thème ? Quel sujet ? Etcetera. Ensuite, il doit voir dans son texte comment le texte est construit, à savoir, est-ce qu'il est construit en différents paragraphes ? Visuel: [Différents paragraphes.] Suzanne-G. Chartrand: Est-ce qu'on a introduit le sujet dont on voulait parler ? Est-ce que le texte, selon le genre, a besoin d'une conclusion ou pas ? Ensuite, l'élève doit se poser la question : Est-ce que finalement j'apparais dans mon texte ? Visuel: [Au "je" ou au "nous".] Suzanne-G. Chartrand: Est-ce que le texte est écrit au "je" ou au "nous" ? Est-ce que c'est clair, ses marques énonciatives, de moi comme énonciateur, comme moi comme producteur de ce message, comme moi comme auteur de ce texte ? Visuel: [Marques énonciatives cohérentes.] Suzanne-G. Chartrand: Est-ce qu'elles sont cohérentes, ses marques énonciatives ? Et si dans le texte, j'ai jugé bon par exemple, dans un texte où je veux expliquer quelque chose à quelqu'un ou décrire quelque chose pour quelqu'un, et à ce moment-là, est-ce que j'interpelle mon destinataire ? Visuel: [Le "tu" ou le "vous".] Suzanne-G. Chartrand: Est-ce que je démarque par exemple le "tu" ou le "vous" ou les phrases interrogatives qui interpellent et qui marquent ma relation, la relation que je veux établir par mon texte avec mon destinataire ? Donc, ces questions-là sont des questions extrêmement importantes qui vont faire la qualité d'un texte. Visuel: [Marques temporelles.] Suzanne-G. Chartrand: Ensuite, je pourrais observer, est-ce que les marques temporelles par exemple sont claires ? Est-ce que si je dis aujourd'hui et que ce texte sera lu dans un mois, qu'est- qu'est-ce que ça veut dire aujourd'hui ? Donc, est-ce qu'il y a effectivement des marques qui seront facilement interprétables, peu importe le moment où ce texte-là sera lu ? Et ensuite, je peux passer à des aspects plus clairement liés à la langue, c’est-à-dire le vocabulaire, la syntaxe, la ponctuation et enfin l'orthographe grammaticale et finalement l'orthographe lexicale. Et si alors l'élève a une grille qui lui offre des repères d'une démarche, comme les grilles que j'ai produites, à ce moment-là, l'élève quand on lui dit, "révise ton texte", ne se limite pas à lire plus ou moins rapidement son texte pour voir s' il y aurait une ou deux ou plusieurs fautes d'orthographe. Visuel: [Plan.] Suzanne-G. Chartrand: Alors on a tendance à dire, "bon, pour écrire un texte, il faut que les élèves fassent un plan". Alors, dans l'école, dans la classe de français, le plan est vraiment quelque chose de vu comme extrêmement important. Beaucoup d'études montrent que beaucoup de gens planifient dans leurs têtes et ne rédigent pas de plan et que leurs textes sont aussi bien structurés que ceux qui rédigent des plans. Des études aussi montrent qu'on ne peut ne pas rédiger de plan et ne pas avoir planifié de façon très nette dans sa tête et avoir des textes tout aussi bon que des textes qui ont fait l'objet d'un plan. Les mêmes études peuvent montrer aussi que certains plans bien construits ne se retrouvent pas du tout dans la copie de l'élève et vice versa, une copie bien construite peut avoir comme point de départ un mauvais plan. Donc là aussi, il faut beaucoup relativiser l'importance de ce plan qui est souvent très fossilisé, très rigide pour construire un texte et considéré que ça suffit pour que l'élève puisse commencer à écrire. Pour que l'élève puisse commencer à écrire, il faut qu'il se représente qui il est comme scripteur, à qui il écrit, dans quel contexte, quel est la tâche et quel genre de texte il doit écrire ? Un texte qui ressemble à ce qu'il a pu lire par ailleurs. Il faut donc un grand nombre de paramètres qui relève de la situation de communication. Depuis les années 60-70, dans l'enseignement du français, partout dans la francophonie, on dit, "bon, la classe de français est une classe de langue vivante", donc on enseigne le français comme une langue qu'on entend, qu'on parle, qu'on lit, qu'on écrit. Donc, il faut effectivement que les productions écrites des élèves, que les rédactions ou les textes qu'on leur demande d'écrire soient des textes qui soient pour l'élève des vraies communications. Même si elles ne sont pas dans la réalité, il faut les fictionnaliser pour que l'élève ait l'impression qu'il écrit pour autre chose que pour seulement se faire dire qu'il a fait beaucoup de fautes d'orthographe et pour avoir une note. Donc, tous ces éléments de la situation de communication sont extrêmement importants. Et la démarche dont je parlais, partir de la situation de communication, du genre de texte, du thème, il faut avoir une documentation solide pour traiter dans le sujet, même dès le primaire, il faut avoir une documentation de quelques textes, il faut en avoir discuté en classe pour vraiment avoir quelque chose de pertinent à dire, d'intéressant à dire. Alors, toute cette démarche-là, l'élève ne la connaît pas et on ne lui enseigne pas de façon générale, ni au primaire, ni au secondaire, ni plus tard dans les études préuniversitaires, ni même à l'université. C'est comme si on part de l'idée que l'élève sait comment faire pour réviser son texte. On donne par exemple une petite consigne d'écriture et on pense que ce travail là prendra environ trois quarts d'heure pour produire un texte. Et après, le cours d'après, on lui dit : "Bien là, tu corrigeras ton texte" et on lui donne 10 à 15 minutes. Alors, là aussi, beaucoup d'études montrent que corriger un texte est presque aussi long sinon plus long que le produire, produire un premier jet, produire ce que les élèves appellent leurs brouillons. Alors, il faut donc prendre beaucoup plus de temps pour vraiment arriver à revoir son texte sous tous les aspects, tous les aspects que j'ai énumérés tout à l'heure. Visuel: [N'est pas une lecture naturelle.] Suzanne-G. Chartrand: Et pour faire ça, et bien c'est une tâche qui va à l'encontre d'une lecture naturelle. Une lecture naturelle, on ne lit pas pour corriger un texte et pour mettre des notes, on lit parce qu'on a le goût de lire ou parce qu'on doit lire quelque chose. Et donc, le travail de lecture est un travail tout à fait différent que le travail de relecture dans la perspective de desceller les anomalies, les maladresses, les dysfonctionnements, voire les erreurs de langue de nos propres textes. Visuel: [Cognitif. Affectif.] Suzanne-G. Chartrand: Donc, c'est une démarche extrêmement coûteuse sur le plan cognitif, coûteuse sur le plan affectif parce que les élèves qui ne se sentent pas bon en français vont dire : "De toute façon, ça sert à rien de réviser mon texte, j'en fais toujours autant". Alors donc, il y a une motivation relativement faible pour se lancer dans ce travail si complexe et si coûteux. Donc, comment faire ? Visuel: [Petite démarche de révision.] Suzanne-G. Chartrand: Une des façons de faire, c'est d'enseigner aux élèves très tôt, dès la troisième primaire plus ou moins, une petite démarche de révision, une petite démarche qui sera toujours la même tout au long de l'année. Mais qui ensuite, dans la grille de correction qu'on pourra remettre aux élèves, aura quelques variables en disant par exemple : "Je veux que pour ce travail d'écriture, vous portiez d'avantage attention aux points 2, 4, 6 et 7 par exemple". Un élève de début de primaire et de début de secondaire ne peut pas tout réviser. Un travail de révision d'un texte de 300 mots lui demanderait probablement une heure et demie, ce qu'il est incapable de faire et ce qu'il ne voudra pas faire. Donc, il faut avoir une procédure générale pour tous les textes, puis une procédure particulière pour chacun des textes où à partir de la même grille on peut dire : "Bien là, on va porter notre attention sur quelques points seulement". Visuel: [Il faut apprendre aux élèves à réviser et à corriger.] Suzanne-G. Chartrand: Conclusion, si on veut que les élèves remettent des textes d'une meilleure qualité communicative et linguistique, il faut leur apprendre à réviser et à corriger. Réviser, ça veut dire détecter les erreurs, les maladresses. Ensuite, chercher comment remédier à ces maladresses, comment corriger ces erreurs, comment combler les lacunes en ayant recours à des pères, en ayant recours à l'enseignante, en ayant recours à un dictionnaire, voire une grammaire, bien qu'on sache très bien que les élèves n'arrivent pas facilement si on ne les a pas initiés plusieurs fois à l'usage d'un ouvrage de grammaire, à s'en servir efficacement, de même que pour le dictionnaire. Donc là, il y a un travail différent, le travail de correction lorsqu'on a descellé et on s'est posé des questions et on sait qu'il y a un certain nombre de dysfonctionnements. Alors, on voit que c'est un travail très onéreux en temps, cognitivement aussi, émotivement aussi. Visuel: [Fractionner la tâche.] Suzanne-G. Chartrand: Donc il faut autant que possible fractionner la tâche, c'est-à-dire par exemple avec des plus jeunes dire : "Bon, bien là, on va prendre 10 minutes, on va regarder juste le point 1 et 2 de la grille d'autocorrection et puis vous allez travailler en équipe de deux et puis demain on prendra deux autres points, on y travaillera 10 minutes en équipe de deux aussi. Et on s'assure qu'à la fin de la semaine, le texte même de 150, 200, 300 mots, sera d'une qualité bien supérieure et l'élève sera davantage content et son enseignant aussi. Alors donc, il faut apprendre, il faut enseigner aux élèves comment travailler la révision d'un texte, c'est aussi important que de les amener à produire un plan et donc il faut que en amont et en aval de l'activité d'écriture, ces deux composants que sont la planification, la révision et la correction de texte fassent aussi l'objet d'un enseignement de la part de l'enseignante ou de l'enseignant, un enseignement pas une seule fois, mais systématiquement tout au long de l'année, tout en modulant un peu son enseignement selon le genre de textes et la consigne des textes à produire. Visuel: [Dans votre récent article intitulé "enseigner à justifier ses propos: de l'école à l'université", vous dites que la justification ne s'acquiert pas de façon spontanée et qu'elle doit être enseignée. Pourriez-vous nous en parler davantage?] Suzanne-G. Chartrand: Dans un article publié récemment dans la revue "Correspondance", que vous pourrez trouver aussi sur le portail pour l'enseignement du français en cliquant à "J" pour justification. Visuel: [http://corespo.ccdmd.qc.ca. Apparition de la page internet du site "Correspondance".] Suzanne-G. Chartrand: Vous arriverez sur ce texte, je disais qu'il fallait enseigner la justification. Cette conduite langagière bien particulière du primaire jusqu'à l'université compris. Pourquoi ? Ce n'est pas moi qui le dis, c'est que de tout temps, depuis si on regarde des consignes d'examen, des consignes pour produire des travaux à l'école, que ce soit en mathématiques, en sciences, en philosophie plus tard, en français, en littérature, on demande très souvent aux élèves de justifier leurs réponses. Visuel: [Justification.] Suzanne-G. Chartrand: Or, on s'aperçoit là aussi que la justification comme conduite langagière particulière n'est pas enseignée, n'est pas théorisée beaucoup non plus. Les premiers écrits théoriques là-dessus datent d'une dizaine d'années à peine. Et il y a peu d'outils didactiques pour justement montrer comment on pourrait enseigner cette conduite-là. Alors dans ce texte-là, j'indique qu'il est important de l'enseigner puisque c'est requis, puisque ça fait partie aussi de la vie courante. Très souvent, avec nos- nos proches, nos enfants, nos conjoints etcetera, on justifie une impression, une opinion, une appréciation. Très souvent, au téléphone, on va dire à nos copains ou nos copines : "Je suis allé voir tel film ou j'ai lu tel livre et c'était vraiment formidable, tu devrais y aller". Et là, l'autre peut dire : "Très bien, ah oui, qu'est-ce que t'as aimé ? Dis-moi pourquoi t'as trouvé ça formidable ? Dis-moi pourquoi tu viens me dire que c'est formidable ?". Visuel: [C'est expliciter ses dires.] Suzanne-G. Chartrand: C'est ça justifier, c'est expliciter ses dires, expliciter son appréciation par exemple d'un film ou d'un livre, c'est une façon de justifier. Ça veut dire qu'il faut reprendre pour soi-même d'abord et pour son interlocuteur ensuite, toutes les raisons qui nous amènent à dire : "Ce film est formidable et je te suggère fortement d'y aller". On n'est pas dans une conduite d'argumentation où l'autre dit : "Non, ce film est mauvais, je n'irai pas". On n'est pas dans cette conduite-là, du tout, il n'y a pas de controverse, il y a tout simplement un dire, une affirmation qui a été faite et la volonté ensuite d'expliciter cette affirmation. Visuel: [Aller à rebours.] Suzanne-G. Chartrand: Donc, c'est aller à rebours, faire comprendre à l'interlocuteur les raisons qui nous ont emmenés à dire : "Ce film est formidable, je te suggère d'y aller". Mais il y a aussi la justification d'une démarche en mathématiques, en algèbres, de la démonstration d'un théorème de géométrie, d'une explication donnée en géographie ou en histoire ou en philosophie. Donc à ce moment-là, on justifie, c'est-à-dire qu'on donne toutes les raisons qui nous amènent à dire : "La résolution de ce théorème ou de cette équation elle est juste parce que voilà, voilà le raisonnement qui m'a amené à cette solution. Et ce raisonnement-là, il est considéré comme juste parce que toutes les prémices que j'énonce sont attestables". On dit par exemple à l'élève : "Quelle est la fonction syntaxique de tel groupe de mots dans telle phrase ?". L'élève dit : "C'est un complément direct du verbe". Et bien on lui dit : "Justifie ta réponse", parce bon il peut dire ça tout à fait par hasard, il peut dire ça et tomber sur la bonne réponse plutôt que dire c'est un complément indirect du verbe, mais en fait, il ne sait pas trop pourquoi il le dit. Il peut très bien savoir pourquoi il le dit. Dans les deux cas, il est intéressant de savoir pourquoi il arrive à cette réponse-là. Et donc, on lui dit : "Justifie ta réponse", c'est-à-dire donne-nous toutes les raisons de ton analyse grammaticale qui va nous amener à dire que hors de tout doute, ce groupe de mots est bel et bien un complément direct. Si l'élève est amené à justifier oralement ou par écrit ses réponses. Visuel: [Activité métacognitive.] Suzanne-G. Chartrand: Ça veut dire qu'il va devoir déployer une activité métacognitive, c'est-à-dire réfléchir sur sa façon d'avoir raisonné et exposer avec des mots ce sur quoi il s'appuie. S'il s'appuie par exemple sur la manipulation syntaxique de pronominalisation pour arriver à dire que ce groupe de mots est complément direct du verbe, il s'appuie aussi sur la place de ce groupe par rapport au verbe et sur la structure de ce groupe qui est un groupe non-prépositionnel, qui est un groupe du nom par exemple, et un groupe du nom peut être complément direct du verbe mais pas un groupe prépositionnel. Donc il doit justement déployer toutes les raisons rationnelles qui l'amènent à cette conclusion-là. C'est un travail encore là très exigeant. C'est pour ça que c'est un travail toujours bâclé et par les élèves et souvent par les adultes, parce que devoir montrer toutes les raisons c'est difficile. Visuel: [Pourriez-vous nous expliquer l'importance des marqueurs de justification pour favoriser une meilleure expression sur le plan langagier (p. ex., alors, car, donc, etc.)?] Suzanne-G. Chartrand: Et un texte justificatif, lorsqu'on donne une justification à une réponse dans un domaine de savoir ou lorsqu'on donne une justification d'une appréciation qu'on fait de quelque chose, ça demande donc de réfléchir aux raisons qui nous ont amenés à produire ce constat, à savoir ceci est juste parce que ou ceci j'aime ceci parce que. Visuel: [Marqueurs de relation ou connecteurs.] Suzanne-G. Chartrand: Et dans notre raisonnement, on se sert beaucoup de marqueurs de relation ou de connecteurs, appelez ça l'un ou l'autre. C'est-à-dire pour marquer les phases de notre raisonnement. J'ai dit ceci car cela, parce que cela, et à la limite, vous pouvez faire décrocher en disant : "Hors, par ailleurs, on pourrait dire cela, ce n'est pas le cas ici. Donc, ceci est finalement la démarche adéquate pour résoudre ce problème de mathématiques". Donc on voit que, là aussi, c'est une démarche langagière, c'est une conduite langagière, c'est une activité langagière qui est coûteuse cognitivement, qui implique des moyens langagiers dont la segmentation des informations et leur relation avec des marqueurs de relation qui doit s'enseigner si on veut que les élèves y arrivent et l'apprennent. Sinon il y a une infime minorité de 1 % de la population, des locuteurs qui vont être capables par eux-mêmes de produire des justifications acceptables par leurs proches ou dans un domaine de savoir. Donc, là encore, il ne s'agit pas de dire aux élèves : "Justifie ta réponse", il faut les amener progressivement tout au long de la scolarité à produire des justifications qui soient acceptables selon qu'on soit dans un domaine de savoir ou un domaine d'appréciation subjectif. Visuel: [Pourquoi est-ce que la mise en place de la grammaire rénovée est-elle si difficile dans les classes?] Suzanne-G. Chartrand: On se pose souvent la question "Pourquoi est-ce que la mise en place de la grammaire rénovée est si ardue dans les classes, là où elle est prescrite par les programmes d'études par exemple ?" Au Québec, c'est seulement depuis 1995 ; en Ontario, un peu plus tardivement ; en Suisse romande, à partir de 1980 ; dans d'autres pays francophones, c'était ou plus tôt ou plus tard, mais dans tous les cas, on s'aperçoit que c'est assez difficile de voir les traces d'un renouvellement de l'enseignement grammatical. Parce que grammaire rénovée, vous le savez, madame Laure vous l'a dit ou vous le dira, vous l'avez lu certainement, vous en avez discuté entre vous, ce n'est pas la même chose que nouvelle grammaire. Nouvelle grammaire, on a l'impression qu'on a inventé une grammaire qui est nouvelle et l'ancienne est la vielle grammaire. Ce n'est pas du tout le cas dans la rénovation de l'enseignement du français et particulièrement dans la rénovation de l'enseignement de la grammaire comme étant un volet, un pan de l'enseignement du français, il y a un certain nombre d'éléments sur le plan théorique de la théorie grammaticale, de la description grammaticale qui a été changée. Mais il y a des pans entiers de la description grammaticale qui datent du XVIIe, XVIIIe, XIXe et XXe siècle qui n'ont pas été changé. Donc, sur le plan des contenus, on n'est pas que dans la nouveauté. Visuel: [Terminologie.] Suzanne-G. Chartrand: Sur le plan de la terminologie, on est loin d'être dans la nouveauté. La notion de nom, d'adjectif, de verbe, de subordonnée etcetera n'ont pas changé, et un certain nombre de termes ont changé et un certain nombre de termes ont été ajoutés. Visuel: [Rénovation.] Suzanne-G. Chartrand: Là aussi, on parle de rénovation plutôt que de nouvelle grammaire. Mais ce qu'on oublie beaucoup dans la rénovation de l'enseignement de la grammaire, ce qu'on appelle souvent la nouvelle grammaire, on met beaucoup l'accent sur les termes nouveaux et des contenus nouveaux, mais on ne met pas du tout l'accent sur une nouvelle façon de voir l'enseignement de la grammaire. Hors, c'est ça qui est fondamentale. Si on change la façon de voir l'objectif de l'enseignement de la grammaire et la façon de la faire en classe, on va voir que les progrès vont être extrêmement rapides. Pour l'instant, on a changé des contenus et des étiquettes, mais on n'a pas changé nos façons de faire beaucoup. Visuel: [Changer notre façon de faire.] Suzanne-G. Chartrand: Alors, changer notre façon de faire, ça veut dire voir que la grammaire devrait être au service des pratiques, particulièrement d'écriture, mais aussi de lecture et de communication orale. Ça veut dire entre autres faire en sorte que la grammaire n'est pas toujours faite en dehors d'une réflexion sur ce qu'on lit et comment c'est écrit les phrases quand on lit et comment le texte est construit et comment les mots sont orthographiés. Donc, il devrait y avoir des activités de grammaire à partir des activités de lecture, il devrait y avoir des activités de grammaire sur les textes qu'on écrit au moment de la révision-correction de texte. Visuel: [Moment de révision et de correction de texte.] Suzanne-G. Chartrand: Le moment de révision-correction de texte, c'est un moment fort du travail de grammaire. Ce n'est pas un moment accessoire, c'est là où ce qu'on a appris en grammaire, ce qu'on sait du fonctionnement de la langue, de ses règles, de ses normes, vont être mis en application dans nos propres textes. Alors, c'est à ce moment-là que l'enseignant devrait dire : "Là, on va faire un atelier de grammaire, on va se mettre à réviser par exemple la ponctuation dans vos textes", et donc on va revenir sur les règles de ponctuation, on va revenir sur la mise en application de ces règles-là, sur les difficultés par exemple de l'emploi de la virgule. Et c'est là qu'on va faire de la grammaire, mais on va faire de la grammaire au service d'une meilleure prise en charge de la ponctuation par exemple dans ses propres textes. Visuel: [Améliorer les compétences langagières.] Suzanne-G. Chartrand: Donc, changer les démarches, c'est d'abord de se dire qu'on fait de la grammaire pour améliorer les compétences langagières des élèves, donc particulièrement à l'écrit, lecture, écriture, et plus encore particulièrement en écriture qu'en lecture. Et puis, à partir de ce moment-là, il y a toute sorte de moment dans une journée, dans une semaine où on peut faire de la grammaire en lien avec les pratiques de lecture et d'écriture. Et donc, à ce moment-là, on va voir que les élèves n'auront plus le même regard sur la grammaire, ils ne verront pas comme quelque chose qu'il faut apprendre plus ou moins par cœur et dont on ne voit absolument pas l'intérêt et l'utilité. Mais ils vont voir que ce qu'on fait, lorsqu'on apprend à décrire un groupe du nom, c'est utile lorsque nous allons écrire. Alors donc, si on change nos façons de faire, on va voir que ça va s'inscrire dans la réalité de la classe et on verra à ce moment-là que les progrès dans la motivation des élèves d'une part, dans la nôtre aussi, parce qu'il ne faut pas se cacher, car beaucoup d'enseignants n'aiment pas enseigner la grammaire, parce que n'y voient pas beaucoup d'intérêts. Visuel: [Motivation.] Suzanne-G. Chartrand: La motivation va augmenter et les résultats en termes de compétence de révision et de correction des textes des élèves devraient s'améliorer substantiellement. Visuel: [Justifier des réflexions, des analyses grammaticales.] Suzanne-G. Chartrand: Et donc, une façon de faire différemment de la grammaire aussi, ce n'est pas de faire répéter des leçons à l'oral ou à l'écrit, mais de bien justifier des réflexions, des analyses grammaticales. Et on revient sur la question de la justification dont je parlais tout à l'heure.

Changer son regard sur les copies d'élèves, Suzanne-G. Chartrand

Cette capsule pédagogique permettrait de revoir les messages clés des chercheurs se spécialisant dans l’approche renouvelée de l’enseignement de la langue. Au cours du visionnement, le personnel scolaire pourra approfondir leurs connaissances sur les compétences scripturales par la grammaire nouvelle/rénovée.